En finir avec les contre-vérités de JM Jancovici sur le nucléaire / partie 4
Dans cette série d’articles, nous allons nous intéresser à l’argumentaire avancé par Jean-Marc Jancovici, ingénieur, consultant, cofondateur du cabinet de conseil Carbone 4 et lobbyiste patenté de l’industrie nucléaire. Nous allons voir que ses arguments sont en réalité des contre-vérités qui ne résistent pas deux secondes à un examen sérieux. Émissions de CO2, déchets, démantèlement, risque terroriste, prolifération nucléaire, sûreté : rien ne nous sera épargné…
Pour lire ou relire les parties précédentes, ce sera par ici.
Contre-vérité n°4 : il n’y a pas de raison de s’inquiéter du risque d’attentat sur des installations nucléaires
« Si un avion s’écrase sur un réacteur nucléaire, vous aurez peut-être, je dis bien peut-être une fuite de matériau radioactif qui ne fera pas 2000 morts instantanés. Alors que si l’avion s’écrase dans une tour à la Défense, on a très bien vu ça à Manhattan, ça marche très très bien, vous faites quelques milliers de morts instantanés. Moi si je suis terroriste, j’ai beaucoup plus envie de m’écraser sur une tour que de m’écraser sur une centrale nucléaire. »
Jean-Marc Jancovici sur France Culture, nov. 2019
Pourquoi c’est n’importe quoi
Nous ne nous étendrons pas sur le cynisme du choix d’une méthode d’attentat plutôt qu’une autre qui « marche très très bien ». Remarquons simplement que M. Jancovici utilise le subterfuge grossier des morts dits « instantanés », mais il ne peut ignorer que les conséquences sanitaires d’un accident ou d’un attentat sur une installation nucléaire se feraient sentir sur des centaines voire milliers d’années. Considérer le risque d’attentat avec autant de désinvolture ne peut qu’interpeler. En réalité, les installations nucléaires ont toujours été des cibles terroristes potentielles ou avérées. Intéressons-nous donc à la réalité des faits.
Al Qaida avait ciblé une centrale nucléaire en 2001
La cellule d’Al Qaida qui a organisé et perpétré les attentats du 11 septembre 2001 avait bien envisagé de cibler une centrale nucléaire. Cette information, révélée en 2006 [1], est issue de l’interrogatoire de Khalid Cheikh Mohammed, le « cerveau » des attentats : « Avant que Khaled Cheikh Mohammed quitte l’Afghanistan, Ben Laden lui présenta une liste d’objectifs que Khaled Cheikh Mohammed transmit ensuite à Atta [un des terroristes impliqués]. (…) À la suite de cette conversation, Atta utilisa un programme informatique pour localiser une centrale nucléaire en Pennsylvanie, que Ben Laden accepta d’ajouter à la liste. » Le choix de la centrale reste inconnu, la Pennsylvanie abritait alors cinq centrales en fonctionnement. Les raisons du choix des cibles finalement retenues par Al Qaida restent peu claires aujourd’hui.
Daech visait un haut responsable du nucléaire belge
Plus récemment, les attentats de mars 2016 à Bruxelles ont montré qu’une attaque contre une installation nucléaire reste possible. En effet, les auteurs des attentats revendiqués par Daech ont été filmés en train d’installer une caméra de surveillance devant le domicile du directeur du centre d’étude de l’énergie nucléaire CEN. Il semble que, dans l’urgence, ils aient privilégié des cibles plus vulnérables qu’ont été le métro et l’aéroport de Bruxelles [2].
L’IRSN considère crédible l’éventualité d’une attaque
Quant à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), celui-ci considère comme crédible l’éventualité d’une attaque. En effet, l’armée de l’air maintient plusieurs patrouilles opérationnelles en permanence. Nous pouvons aussi citer le vice-amiral Mouton, directeur général adjoint chargé des missions de défense à l’IRSN jusqu’en 2018 :
« J’aimerais bien qu’on finisse d’avancer un certain nombre de choses sur la lutte contre le commando terroriste. Et j’aimerais bien qu’on avance un peu plus vite sur la cyberdéfense. » [2]
Les piscines de la Hague sont particulièrement vulnérables
M. Jancovici fait peut-être semblant d’ignorer que les bassins d’entreposage provisoire de combustibles usagés de l’usine de la Hague sont particulièrement vulnérables à un attentat ou une chute d’avion accidentelle. En effet, les bâtiments abritant les bassins sont recouverts de toits semblables à ceux de hangars. Dans un rapport publié par l’agence WISE-Paris peu après les attentats du 11 septembre 2001, on pouvait lire ceci : « En d’autres termes, les piscines n’ont aucune protection contre les chutes d’avion, quelle que soit leur taille. » [3] Quant aux conséquences d’une chute d’avion entraînant un incendie d’un bassin d’entreposage, le rapport est clair : « L’exercice montre simplement que l’inventaire supposé en césium de la piscine D, correspond à 67 fois la quantité de césium relâché lors de l’accident de Tchernobyl. »
Même le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), l’organisme d’État dépendant du Premier ministre et responsable de la sécurité de la Hague, avoue le risque à demi-mot.
« – Que se passerait-il si un avion se crashait sur l’une de ces piscines ? Si un terroriste posté à l’extérieur armait un lance-roquettes et tirait sur ces piscines ?
– Nous ne souhaitons pas répondre à cette question, répond le porte-parole du SGDSN.
– Pourquoi ?
– Parce que nous ne voulons pas donner d’idées aux terroristes.« [4]
La centrale belge de Doel a été victime d’une attaque
Continuons non pas par une possibilité, mais par une réalité : en 2014, la centrale nucléaire de Doel, située à 20 km d’Anvers, a été victime d’un sabotage [5]. Les 65 000 litres d’huile nécessaires au fonctionnement de la turbine à vapeur du réacteur n°4 ont été vidangés. Les coûts de la réparation sont de l’ordre de 100 millions d’euros. L’enquête est toujours en cours et, si l’on ignore l’identité de l’auteur, la piste terroriste est à ce jour privilégiée.
Le nucléaire iranien attaqué par Israël
En outre, depuis l’interview de M. Jancovici, l’installation nucléaire de Natanz, dans le centre de l’Iran, a été récemment victime de deux sabotages : l’un en juillet 2020 [6], l’autre en avril 2021, ce dernier provoquant une panne d’électricité dans l’une des salles de commande. Les autorités iraniennes ont décrit les évènements comme un acte de « terrorisme nucléaire ». L’origine israélienne de l’attaque semble faire peu de doutes [7] :
« De nombreux médias israéliens ont rapporté, en citant des sources anonymes issues des milieux du renseignement, que le Mossad, les services secrets israéliens, avait réussi à saboter le site de Natanz, ce qui serait susceptible de retarder de plusieurs mois les opérations d’enrichissement d’uranium. »
Cet épisode montre qu’une attaque sur une installation nucléaire peut aussi provenir d’États.
Conclusion…
Ces quelques éléments suffisent à montrer que le risque d’attaque sur des installations nucléaires est réel. Et nous aurions aussi pu évoquer l’éventualité de la fabrication de bombes de faible intensité [8]. Il ne suffit donc pas à M. Jancovici d’écarter ce risque d’un revers de main pour qu’il disparaisse par enchantement. Faire mine de ne pas voir que ce risque est réel, c’est minimiser sciemment les inconvénients de cette technologie.