Atomic Mac, avril 2021 : Fukushima dix ans après
Après l’émission du mois dernier avec Bruno Chareyron, nous avons voulu poursuivre sur les conséquences de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Nous recevons Sugita Kurumi, de l’association Nos voisins lointains 3.11.
L’émission
- 01 min : le billet de Georges à Fukushima
- 06 min : la contamination cachée de Tahiti, par Kim
- 08 min : « The fool on the hill », The Beatles
- 11 min : l’interview de Sugita Kurumi, Nos voisins lointains 3.11, partie 1/2
- 21 min : « Rendez-nous la lumière », Dominique A
- 24 min : l’interview de Sugita Kurumi, Nos voisins lointains 3.11, partie 2/2
- 34 min : supplique pour un cadeau empoisonné, par Dominique H
- 39 min : l’agenda, par Kim et Céline
- 41 min : « Unnatural selection », Muse
Du corium pour l’éternité
par Georges, sur Fukushimablog par Pierre Fetet
Selon la SFEN (société française de l’énergie nucléaire), les robots, non encore conçus pour l’instant, qui récupéreront les coriums de Fukushima pourront entrer en action dès 2022. Ceux-ci pourront, toujours d’après cette association propagandiste (*), retirer à terme quelques kilogrammes de corium par jour, ce qui permettra d’extraire la totalité de cette matière au bout de 20 à 30 ans (si toutefois une partie ne s’est pas enfoncée trop profondément dans le sol). Vérifions cette assertion. Imaginons que ce soit vrai et que l’on puisse retirer, soyons optimistes, 5 kg par jour (je rappelle que pour l’instant, on a juste réussi à déplacer quelques grammes de quelques cm). Au bout de 20 ans, 36,5 tonnes seront retirées. Au bout de 30 ans, 55 tonnes. En sachant qu’on estime à 880 tonnes la masse des coriums de Fukushima, il faudra en fait, avec un rythme de 5 kg/jour, près de 500 ans. Mais si c’est 2,5 kg par jour, ce sera mille ans ! Le problème, c’est que les bâtiments réacteurs, construits en béton armé, ne résisteront pas au temps. Les séismes et les explosions de mars 2011 ont fragilisé les structures et le dernier séisme du 13 février 2021 a agrandi les failles dans lesquelles s’engouffre l’eau contaminée. Il est donc probable que les bâtiments réacteurs, rongés par la rouille et l’éclatement des bétons, tomberont en ruine avant même qu’on ne puisse terminer cette opération. Dans 50 ans, les réacteurs auront un siècle…
LES J.O. : Il est préférable de ne pas organiser les Jeux olympiques étant donné les risques considérables, a soutenu le Dr Norio Sugaya, spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital Keiyu de Yokohama, à l’Associated Press. Les risques sont élevés au Japon. Le Japon est dangereux, et pas du tout un endroit sûr.»Sugaya estime que la vaccination de 50 à 70 % du grand public devrait être «une condition préalable» pour organiser en toute sécurité les Jeux olympiques, un scénario hautement improbable étant donné la lenteur du déploiement des vaccins au Japon.Jusqu’à présent, moins de 1 % de la population a été vaccinée et tous sont des professionnels de la santé. La majorité du grand public ne devrait pas être vacciné avant l’ouverture des Jeux olympiques, le 23 juillet.«Des dizaines de milliers d’étrangers vont entrer dans le pays, y compris les médias de masse, dans un court laps de temps», a poursuivi Sugaya, «les défis vont être énormes.»Le gouvernement japonais et les organisateurs locaux ont déclaré que la vaccination n’était pas une condition préalable aux Jeux olympiques, bien que le Comité international olympique encourage les 15 400 athlètes olympiques et paralympiques à se faire vacciner lorsqu’ils entreront au Japon.Les systèmes hospitaliers sont sous pression, en particulier dans les zones les plus durement touchées telles que Tokyo. Le Dr Toshio Nakagawa, qui dirige l’Association médicale japonaise, a exprimé sa grande préoccupation face à ce qu’il a appelé «un rebond» des cas de coronavirus. Il a appelé à des mesures préventives !Dans un prochain billet seront évoqués les problémes de la digue du port de fuku, , l interdiction pour TEPCO d’ exploiter une centrale au motif de la sécurité et les fuites d’eau contaminée (aux réacteurs 1 et 3 de la centrale de fuku) suite au séisme du 13 février !
La contamination cachée de Tahiti
par Kim
Kim, tu vas nous parler de la contamination cachée de Tahiti
Oui, mais d’abord petit retour en arrière pour planter le décor : après les accords d’Évian en 1962, qui prévoient que l’État français abandonne ses expériences nucléaires au Sahara, la France se met en quête d’un autre site. C’est sur la Polynésie française, au beau milieu de l’Océan Pacifique Sud, que l’État français jette son dévolu. Écoutez Jacques Denis Drollet, chef du premier gouvernement de la collectivité polynésienne, raconter la conversation qu’il a eu avec le Général de Gaulle, au début des années 1960 : « Il m’a fait comprendre qu’il avait besoin de ces atolls pour les expérimentations atomiques et qu’il serait souhaitable que nous les donnions à la France. Et que si nous ne le faisions pas, il aurait les moyens de nous contraindre. Il avait besoin de ce territoire et de son positionnement. Sinon il ferait simplement nommer un gouvernement militaire en Polynésie française et il déclarerait la Polynésie stratégique. » Sacré Charles, c’était comme ça, la colonisation à l’époque.
Entre 1966 et 1996, l’armée française et le CEA en profitent pour réaliser 193 essais nucléaires sur place, dont 46 essais nucléaires en plein air. Tout va bien dans le meilleur des mondes puisque les essais menés par le centre d’expérimentation du Pacifique sur cette période sont classifiés.
On fait un bond dans le temps et on arrive directement en mars 2021
Une enquête vient d’être publiée, menée par le média d’investigation en ligne Disclose et un chercheur de l’Université de Princeton ; elle s’appuie sur des milliers de documents militaires déclassifiés concernant les essais nucléaires français dans le Pacifique.
On ne s’intéressera aujourd’hui qu’à une seule histoire : celle de l’essai Centaure. Cet essai de bombe atomique a lieu le 17 juillet 1974 à 7 h 04 sur l’atoll de Moruroa. Mais tout ne se passe pas comme prévu : Facétieuses, les retombées radioactives ne prennent pas la direction du nord, poussées par le vent, mais celle de l’ouest, c’est-à-dire vers l’île de Tahiti. Le nuage radioactif met 42 h pour toucher l’île. Il pleut sur Tahiti. Cette pluie fait retomber au sol des particules radioactives qui contaminent notamment les aliments.
L’armée française et le CEA identifient très vite le risque que font peser les retombées radioactives sur les populations tahitiennes. Pourtant aucune décision n’est prise pour informer ou protéger les populations. En fait, celles-ci n’ont pas la moindre idée qu’un essai nucléaire est mené à 1 000 km de là. La totalité des habitants et habitantes de Tahiti et des îles alentours est exposée. Les auteurs de l’enquête n’y vont pas par quatre chemins, je cite « Ce serait donc 110 000 personnes qui pourraient demander réparation à l’État dans le cas où elles auraient contracté l’une des 23 maladies radio-induites reconnues comme une conséquence des retombées. »
J’ai comme l’impression d’avoir entendu ce genre d’histoires cent fois…
C’est vrai, et pour cause ! Décision unilatéralement prise au sommet pour des raisons d’État, expérimentation civile ou militaire qui tourne mal, conséquences cachées, maquillées puis niées malgré l’évidence, informations longtemps dissimulées par le sceau du secret défense, parcours du combattant pour les victimes souhaitant faire reconnaître leur statut, etc. C’est effectivement bien souvent les mêmes ressorts nucléaires qui sont mis en œuvre.
Supplique pour un cadeau empoisonné
par Dominique H
Dans le cas où 6 nouveaux EPR seraient construits, une délégation d’élu-e-s drômois-e-s a été reçue à l’Élysée le 3 mars dernier pour défendre l’implantation de deux réacteurs à Tricastin car la centrale, qui approche les 40 ans, doit être à terme fermée. A l’initiative de Marie-Pierre Mouton, présidente LR du Département de la Drôme, une lettre ouverte signée par 33 élus de Drôme, Ardèche, Vaucluse, Gard a aussi été adressée au patron d’EDF car le site du Tricastin est en ballottage avec celui du Bugey, dans l’Ain. Députés, maires, sénateurs, conseillers, présidents de région ou de département, ces élus sont issus de la droite, la gauche, LREM.
La décision de construire ces EPR est-elle prise ?
Non, le Président de la République la fait dépendre du démarrage de celui de Flamanville dont on connaît les déboires: prévu pour être construit en cinq ans, entre 2007 et 2012, sur un budget de 3,3 milliards d’euros, il sera mis en service en 2023, ou plus probablement 2026, et coûtera au moins 23 milliards d’euros. A ce jour, des problèmes de soudures dans la cuve n’ont pas encore été solutionnés.
Quels atouts du Tricastin cite cette lettre ?
- « le lieu d’implantation […], en bordure du canal Donzère-Mondragon » avec une « digue aux normes de robustesse post-Fukushima ».
- la situation géographique, qui assure « l’équilibre du réseau électrique en Paca et Occitanie Est ».
- les compétences du territoire dans le domaine du nucléaire
- le soutien des habitants.
L’association Stop Tricastin conteste ces arguments :
- Soutien ? Une pétition pour la fermeture du réacteur numéro 1 a recueilli plus de 41000 signatures.
- Sécurité ? Le site est en zone sismique active comme l’a montré le séisme du Teil le 11/11/ 2019 et la sécurité de la digue n’est pas optimale : consolidée en 2017, elle doit l’être à nouveau avant la fin de 2022
- Ajoutons que le réchauffement climatique rend problématique le refroidissement des réacteurs par le fleuve en été; d’ailleurs, la présence de centrales le long du Rhône comme de la Loire augmente significativement les températures, contrairement à l’idée que le nucléaire est une bonne réponse .
- Enfin, les compétences du territoire seront utiles pour le démantèlement des centrales et peuvent être réorientées dans le développement de nouvelles filières énergétiques
Il est difficile de rebrousser chemin lorsqu’on est à ce point engagé.
Dans une belle tribune du Monde parue le 24 mars dernier, le chercheur Thierry Ribault attaque la résilience, cette vertu cardinale omniprésente aujourd’hui. Derrière cette capacité à résister à tous les aléas de la vie, il dénonce une “technologie du consentement » qui nous invite à tout accepter et nous adapter, plutôt que d’analyser lucidement les problèmes afin de les solutionner. Face au réchauffement climatique, il faut être prêts à changer nos modes de vie et nos mentalités, sous peine d’être accusés d’arriération et pusillanimité . Nous devons éteindre la peur, même justifiée, adopter un optimisme technologique qui nous assure que nous saurons répondre aux questions les plus insolubles et nous habituer à tout: vivre avec la covid, avec le terrorisme, avec la fuite en avant nucléaire. Si tu ne peux avoir ce que tu veux, disaient déjà les Stoïciens dans l’Antiquité, arrange- toi pour vouloir ce que tu as. Et pour vivre dans le monde tel qu’il est sans le remettre en cause…
Cette résiliothérapie qui se veut pragmatisme et n’est qu’aveuglement volontaire, les 33 élus signataires en sont une parfaite illustration. C’est un spectacle affligeant de voir en masse nos élus demander une technologie du passé , coûteuse, inefficiente, dangereuse.